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Bande Dessinée : Bug dans la matrice, Enki Bilal peint l’oubli numérique avec des pinceaux de mémoire

Dans le quatrième tome de sa série “Bug”, Enki Bilal poursuit son odyssée graphique dans un monde où le numérique a tout avalé, jusqu’à l’intelligence. Entre gouaches et pixels, il raconte l’histoire d’un homme seul face à la mémoire du monde, et d’une société qui court à sa perte en croyant tout savoir. Rencontre avec un artiste libre, lucide, et toujours en avance d’un bug.

Photos : Enki Bilal/Kbsp/Casterman/DR

L’atelier du silence et des cris

Chez Enki Bilal, on ne rentre pas comme dans une maison. On entre comme dans une grotte. Une grotte de pinceaux, de pots de gouache, de toiles suspendues comme des secrets. Pas de planches de BD aux murs, mais des visages, des regards, des mondes. Il peint comme on respire, sans chercher à plaire, sans chercher à appartenir. “Je suis dans une zone libre”, dit-il. Et ça s’entend dans chaque case de “Bug”, cette série entamée il y a dix ans, où le monde bascule parce qu’un bug informatique efface toutes les données numériques. Plus de Google, plus de cloud, plus de mémoire. Juste un homme, Kameron Obb, qui devient malgré lui le dernier cerveau vivant.

La mémoire vive contre la mémoire vivante

Bilal ne dessine pas des histoires. Il les sculpte. Chaque case est un tableau, chaque visage une énigme. Il assemble tout à l’ordinateur, paradoxalement, pour mieux dénoncer la machine. “Le numérique a interrompu la transmission”, lâche-t-il, comme un constat d’autopsie. On ne se parle plus, on se scroll. On ne se souvient plus, on consulte. Une info chasse l’autre, comme des vagues qui effacent les empreintes sur le sable. “La mémoire vive est en train de supplanter la mémoire vivante.” Et dans ce monde saturé, Bilal peint le silence. Celui qui reste quand tout s’est effondré.

Photos : Enki Bilal/Kbsp/Casterman/DR

Kameron Obb, dernier homme debout

Dans “Bug”, le héros n’est pas un super-héros. C’est un homme en lutte. Il a tout le savoir du monde dans sa tête, mais il est seul. Seul face à la tentation du pouvoir, seul face à la folie des autres. “Il est en proie à la lutte entre le bien et le mal”, explique l’artiste. Une lutte binaire, comme nos débats, comme nos réseaux, comme nos politiques. “On est dans une espèce de régression de l’intelligence.” Et Enki Bilal, lui, avance à contre-courant. Il ne propose pas de solution, il tend un miroir. Un miroir qui fait mal, mais qui éclaire.

Photos : Enki Bilal/Kbsp/Casterman/DR

L’IA, ce monstre qui court trop vite

Dans ce 4e tome, l’intelligence artificielle entre en scène. Pas comme une promesse, mais comme une menace. “La vitesse à laquelle ça va me surprend”, confie t’il. Et il n’est pas le seul. Même les scientifiques ont peur de ce qu’ils ont créé. Mais Enki Bilal n’est pas un prophète de l’apocalypse. Il croit encore aux humains. “La lueur d’espoir, c’est que les nouvelles générations, une fois l’addiction passée, reprennent les choses en mains.” Il y croit. Et il le peint. Avec des couleurs sombres, mais une lumière au fond. Une lumière qui annonce le 5e et dernier tome. “ Le plus lumineux possible”, promet-il. Parce que même dans le bug, il reste une étincelle. Celle de la mémoire vivante. Celle qu’on ne peut pas effacer.

Photos : Enki Bilal/Kbsp/Casterman/DR

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